Le paysage de la mode en France connaît une transformation profonde. Alors que le pays a bâti sa réputation mondiale sur la haute couture et les marques de luxe, ses consommateurs adoptent massivement des habitudes plus frugales et durables, propulsant l’Hexagone au rang de leader européen de la seconde main tout en se tournant vers des tendances étonnamment régressives.

La France, leader incontesté de la mode d’occasion

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Une étude récente de la Fédération de la Mode Circulaire révèle que la France domine le marché européen de la revente de vêtements. En 2024, elle représente plus d’un quart (26 %) des revenus de ce secteur en Europe, soit un marché de 4,1 milliards d’euros. Les projections estiment que ce chiffre pourrait atteindre 6,3 milliards d’euros d’ici 2030, avec un taux de croissance annuel de 7,4 %. À titre de comparaison, le Royaume-Uni devrait connaître une baisse annuelle de 4 % sur le même marché.

Cette tendance se manifeste partout, des grandes métropoles aux plus petits villages, où les friperies, les vide-dressings et les applications locales d’échange, comme Toototoor dans la Nièvre, fleurissent et renforcent le lien social. Le gouvernement soutient également cette transition, notamment avec le « bonus réparation » lancé fin 2023, une aide financière incitant les citoyens à faire réparer leurs vêtements et chaussures plutôt que de les jeter.

Entre pouvoir d’achat et conscience écologique

Plusieurs facteurs expliquent cet engouement. La crise du coût de la vie et l’inflation poussent de nombreux ménages à revoir leurs habitudes de consommation et à chercher des alternatives plus économiques. De plus, une prise de conscience collective s’opère face aux ravages environnementaux et sociaux de la « fast fashion ». Les consommateurs sont de plus en plus rebutés par les images de montagnes de vêtements usagés dans les pays en développement. Le succès fulgurant de plateformes en ligne comme Vinted, dont la France était le plus grand marché l’année dernière, témoigne de ce changement de mentalité.

Quand la mode devient un refuge : le triomphe des accessoires régressifs

Mais ce changement de paradigme ne se limite pas à la manière d’acheter. Il influence également les tendances elles-mêmes. En opposition directe avec le « luxe discret » qui a régné récemment, une nouvelle vague de mode, ludique et enfantine, déferle. On assiste à une invasion d’accessoires qui semblent tout droit sortis d’un coffre à jouets : bijoux de sac, ou « bag charms », menés par la créature Labubu, colliers oursons en gélatine, breloques pour téléphone et accessoires perlés ou duveteux. La mode abandonne son sérieux pour embrasser la fantaisie et la nostalgie de l’enfance.

Selon les analystes, cette tendance est une forme d’évasion. Lucy Bishop, spécialiste chez Sotheby’s, explique que les consommateurs « adoptent l’évasion pour se distraire des pressions de la vie moderne ». Pour la psychologue de la mode Jennifer Heinen, « les objets petits, collectionnables et fantaisistes nous ancrent dans quelque chose de maîtrisable et d’émotionnellement rassurant. Ils reflètent un désir de renouer avec des émotions souvent réprimées à l’âge adulte : la tendresse, l’émerveillement, la curiosité ».

L’évasion par l’objet : une tendance paradoxale

Pourtant, cette quête de légèreté a un prix, et le paradoxe est saisissant. Un accessoire à l’apparence enfantine peut coûter une fortune. Une pochette en forme d’ours en peluche de Moschino se vend à plus de 1 000 dollars. Des marques de luxe comme Prada et Chloé proposent des bijoux de sac à plusieurs centaines de dollars, tandis que certains modèles d’Hermès d’occasion peuvent dépasser les 2 000 dollars. Le phénomène Labubu a même vu une édition limitée se vendre à plus de 5 000 dollars sur une plateforme de revente. Bien sûr, pour ceux qui ne souhaitent pas débourser de telles sommes, le marché des « dupes », ou imitations, prospère sur des plateformes comme Amazon, rendant la tendance accessible à tous. La mode française actuelle est donc un fascinant mélange de consommation raisonnée, de pressions économiques et d’un besoin psychologique de réconfort et de jeu.